approche stratégique des compétences

Au cœur des débats sur la compétitivité, les compétences sont directement liées à la performance et à la capacité d’innovation des entreprises et beaucoup devront envisager une approche stratégique des compétences pour faire face notamment à la révolution digitale.
Dans un contexte de concurrence accrue, elles permettent la mise en place de stratégies de différentiation.
Lors d’un entretien avec Anne-Catherine Yon, de la société cut-e, nous avons pu aborder la problématique qui consiste à évaluer pour une approche stratégique des compétences, indissociable d’une politique efficace de management ce celles-ci.

En complément de vos activités de conseil en recrutement, vous avez choisi d’investir pour développer cut-e en France et en Belgique. Pouvez-vous nous présenter cut-e brièvement ?

cut-e est une société internationale spécialisée dans la conception et l’intégration de tests et de questionnaires d’évaluation en ligne dans les processus de recrutement et développement RH. Nous sommes présents dans 21 pays et 2 millions de personnes passent nos tests chaque année dans plus de 70 pays et en plus de 20 langues.
Notre métier est d’évaluer, à partir d’outils psychométriques, des aptitudes, des compétences et des valeurs. Nous nous appuyons tout d’abord sur notre expertise en psychométrie qui nous permet de valider la qualité des outils utilisés. D’autre part, nous nous basons sur une utilisation avancée des technologies web qui garantissent l’accessibilité et la fiabilité de nos tests.

Quels sont aujourd’hui les enjeux stratégiques de l’évaluation des compétences ?

Les compétences sont aujourd’hui remises au cœur des entreprises comme élément stratégique de différentiation, d’évolution et de performance. Il est donc important de pouvoir évaluer les compétences des collaborateurs, à différents moments clés pour l’entreprise et pour les collaborateurs, que ce soit au moment d’un recrutement, d’une mobilité, d’une évolution professionnelle, …
L’évaluation des compétences apporte des informations clés et fiables pour faciliter des prises de décisions RH qualifiées. Il s’agit d’un outil de pilotage.

Quelles sont les types de compétences ? Comment les mesurer ?

Dans mon travail, j’utilise souvent deux modèles différents, selon les projets :

  • le modèle développé par Claude Fluck, la roue des compétences avec quatre grands domaines de compétences : techniques, organisationnelles, relationnelles et d’adaptation.
  • Le modèle cut-e, avec quatre grands domaines également : le relationnel, l’opérationnel, l’intellectuel et l’émotionnel.

Mais nous nous adaptons à l’entreprise, qui a souvent également développé son propre modèle de compétence, selon ses métiers, sa culture, son secteur d’activité, sa situation…
Pour mesurer ces compétences, on peut utiliser différents types d’outils et de méthodes : entretiens d’évaluation, tests d’aptitudes, questionnaires de personnalité, mises en situation, cas pratiques ou encore périodes d’essai. Le choix des outils se fait en fonction des moyens que l’entreprise souhaite dédier à l’évaluation. L’idéal est de diversifier les outils pour limiter tout biais.

La gestion stratégique des compétences fait-elle ressortir des richesses insoupçonnées ?

L’évaluation permet d’apporter des informations concrètes aux dirigeants pour mettre en place des actions. Nous avons par exemple pour client une banque qui utilise chaque année une évaluation 360 pour évaluer son comité de direction et prendre des décisions stratégiques concernant le plan de succession. Les informations collectées permettent de préparer le futur.
Dans le cadre d’un recrutement, les outils d’évaluation permettent d’identifier des personnes possédant des compétences appropriées qui ne transparaissent pas sur leur CV.
Cela peut enfin permettre de proposer des évolutions internes auxquelles l’on n’aurait pas pensé et donc détecter du potentiel de développement pour l’entreprise. Cela est d’autant plus intéressant dans les pays où la formation ne correspond pas toujours aux besoins de la structure.

Les compétences n’apparaissent pas ou peu au bilan des entreprises. Comment valoriser les compétences ?

Par l’approche du management par les compétences. Il s’agit de remettre les compétences au cœur de l’entreprise, et ce à tous les niveaux. Il faut pour cela connaître ces compétences, les évaluer, les développer, les actualiser, grâce à la formation notamment, et anticiper les transferts de compétences entre différents collaborateurs.

Sur quelles compétences investiriez-vous aujourd’hui ?

Chaque entreprise a son point de vue sur la question, valorisant souvent les compétences techniques. Je pense quant à moi que la capacité d’adaptation est devenue stratégique aujourd’hui, quel que soit le secteur d’activité. Dans un environnement de plus en plus complexe et mouvant, il me paraît primordial d’être capable de s’adapter aux évolutions de son métier pour pouvoir rester performant dans son entreprise et son secteur d’activité.

Dans l’article “La revanche des cancres” paru dans le magazine Uzbek et Rica N°3, Michel Serres souligne : “l’ordinateur nous soulage de façon extraordinaire”. Diriez-vous que l’on assiste à une digitalisation des compétences ?

Cela me paraît un peu exagéré… Je dirais plutôt que l’environnement global et les activités se digitalisent effectivement, et que par conséquent les compétences doivent évoluer et s’adapter. Des compétences disparaissent, d’autres naissent …mais l’individu reste au cœur du succès des entreprises.

L’évaluation des compétences permet-elle de mieux anticiper les risques et opportunités ?
Lesquels ?

L’évaluation des compétences peut tout d’abord permettre d’identifier des manques et des axes d’amélioration sur certaines compétences et donc de mettre en place les actions appropriées. On pallie alors à un risque.
Par exemple, si un changement tel qu’une évolution de marché apparaît et que l’entreprise a identifié un collaborateur possédant des compétences correspondantes, cela va lui permettre de saisir des opportunités.

Evaluer pour une approche stratégique des compétences comprend ses propres risques. Quelles précautions faut-il prendre ? Quelles garanties apportent les systèmes d’évaluation tels que le vôtre ?

Cela dépend des outils : chacun comporte ses propres risques. Il y a par exemple toujours une dimension subjective avec un entretien en face à face : cela génère des biais potentiels. Sur un outil psychométrique, un regard critique est toujours nécessaire. Il faut choisir le bon test, le valider, l’utiliser correctement, prendre en compte le contexte dans lequel la personne a passé le test… Par exemple, nous utilisons pour nos questionnaires de personnalité des mesures de cohérence qui nous donnent des indications sur la transparence avec laquelle la personne a répondu. En fonction de la cohérence, nous pouvons prendre de la distance par rapport au profil, être plus vigilants, approfondir certains points, proposer des tests complémentaires… nous évitons ainsi les manipulations et gardons une approche éthique.

A l’heure du Big Data, l’évaluation est-elle plutôt un élément de différenciation qualitative ou bien un nouvel axe d’analyse quantitative ?

Les deux, en fonction de la situation. Chaque outil possède un niveau de qualité et des coûts associés. Dans les situations d’approches quantitatives du recrutement, les outils psychométriques sont les meilleurs outils développés jusqu’à présent pour évaluer de manière qualitative un grand nombre de personnes. Nous sommes, à titre d’exemple, en contact avec une entreprise qui recevait tellement de réponses à ses offres d’emploi qu’elle se limitait systématiquement aux quatre-vingt premières réponses, ne pensant pas pouvoir analyser qualitativement d’autres CV. Nous pouvons, grâce aux outils psychométriques, adopter une démarche beaucoup plus ouverte et quantitative tout en restant qualitatif. On identifie et priorise les compétences requises, ce qui nous permet de rejeter des candidatures de personnes n’ayant manifestement pas certaines compétences clés.
En revanche, si l’on est dans la situation où l’entreprise hésite entre deux candidats, le questionnaire de personnalité peut apporter des compléments d’information sur chaque candidat, que l’on va pouvoir ensuite comparer par rapport aux besoins de l’entreprise.
Un autre exemple : l’assesment center, qui permet d’utiliser différents outils d’évaluation pour un groupe de candidats ou de collaborateurs, est extrêmement qualitatif. En revanche, il s’agit d’une méthode d’évaluation trop coûteuse pour être déployée auprès d’un grand nombre de candidats.

Comment voyez-vous l’avenir de l’évaluation ?

Dans une approche où l’on remet les compétences au cœur de l’entreprise, l’évaluation est critique. C’est un outil de différenciation.
La plupart des entreprises savent déployer les meilleurs outils de gestion financière ou commerciale, mais toutes ne savent pas optimiser au mieux les compétences de leurs collaborateurs. Cela passe par le management par les compétences et donc l’évaluation.
Aujourd’hui, certaines initiatives sont mises en place mais il s’agit souvent de modèles anglo-saxons appliqués tels quels. Il y a donc beaucoup de travail d’adaptation et de pédagogie à faire, notamment sur la conduite et l’utilisation des entretiens annuels.

Propos recueillis par Lucie Loubet

Notre Insight 2017 : Cet outil a évolué depuis cet interview en se perfectionnant en matière de Big Data et d’analyse prédictive. Ce qui renforce la démarche d’une approche stratégique des compétences.  Au printemps dernier Cut-e a été acquis par le Groupe britannique Aon, spécialisé dans le conseil en gestion des risques, en courtage d’assurance et en ressources humaines.

A propos d’Anne-Catherine Yon

Anne-Catherine Yon est Managing Director, France & Luxembourg @ Aon Assessment Solutions / cut-e. Auparavant, elle a exercé différentes fonctions commerciales et marketing à l’international, au sein du groupe Reuters, avant de rejoindre la société Akteos en tant que responsable du développement, sur des projets d’accompagnements interculturelles d’équipes et de collaborateurs.

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