L’ innovation est un facteur de compétitivité central, qui permet aux entreprises de se démarquer de la concurrence, de valoriser leur image et plus globalement de renouveler leur cycle de vie. Elle représente toutefois une stratégie difficile à organiser et à maîtriser. Basée sur la créativité et l’agilité, elle engage des ressources humaines et financières considérables pour des résultats non garantis, et représente à ce titre un risque pour l’entreprise.

L’intelligence économique peut apporter un soutien à une démarche d’innovation, notamment en collectant et protégeant l’information stratégique. Encore faut-il que la discipline soit connue, valorisée et correctement appliquée…
Raphaël Danjou, directeur de la veille stratégique au CEFRIO (organisation québécoise dont la mission est de faciliter la recherche et l’innovation en entreprise) nous livre son retour d’expérience.

Pouvez-vous nous présenter le CEFRIO ?
Le CEFRIO est le centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations, à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC). Il regroupe quelque 150 membres universitaires, industriels et gouvernementaux ainsi que 74 chercheurs associés et invités. Sa mission : contribuer à faire du Québec une société numérique, grâce à l’usage des technologies comme levier de l’innovation sociale et organisationnelle. Le CEFRIO, en tant que centre de liaison et transfert, réalise, en partenariat, des projets de recherche-expérimentation, d’enquêtes et de veille stratégique sur l’appropriation des TIC à l’échelle québécoise et canadienne. Ces projets touchent l’ensemble des secteurs de l’économie, tant privé que public. Les activités du CEFRIO sont financées à 67 % par ses propres projets et à 33 % par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MESRST), son principal partenaire financier.

Avez-vous des homologues ou des correspondants en France ou en Europe ?
Les CLT (centre liaison et transfert) sont assez particuliers : il en existe seulement 5 actuellement au Québec. Ailleurs, en France notamment, le CEFRIO se rapproche assez du modèle de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération) et présente des points communs avec Marsouin.org sur les usages du numérique, l’ARDI Rhône Alpes sur l’offre aux PME ou encore l’EPN Basse-Normandie.

Quels sont les aspects de l’IE pouvant le mieux servir une politique d’innovation selon vous ?
 L’IE est un processus que l’on peut définir, organiser et dont un résultat peut être attendu en fonction du ciblage. L’innovation pas vraiment, du moins pas encore. En cela, l’IE aurait un lien plus naturel avec la R&D, qui suit le même type de processus.
Mais R&D ne signifie pas forcément innovation : l’innovation englobe des processus plus larges que celui de la R&D, il faudrait donc que l’IE soit capable de couvrir l’ensemble des étapes, pour apporter de l’information en incluant plusieurs aspects liés. C’est le rôle de la veille concurrentielle, veille marketing, veille stratégique… etc. D’autres aspects de l’IE, notamment la sécurisation de l’information stratégique, sont également nécessaires, mais cela n’entre pas dans le champs de proccupation du CEFRIO.

L’agilité est un concept clé dans la gestion de l’innovation : un process d’IE formalisé (avec un circuit de l’information centralisé, un responsable coordinateur…) n’est-il pas un frein à cette agilité ?
Doublement non : d’une part l’IE se formalise comme n’importe quel autre processus dans l’entreprise (production, distribution, R&D…) ,elle est donc facteur d’organisation. D’autre part l’IE est justement là pour combler des manques qui apparaissent dans la chaîne de valeur : elle contribue ainsi à la performance de l’entreprise et à l’amélioration de ses processus globaux, donc à son agilité.

De ce fait prônez-vous plutôt une approche holistique ou bien au contraire une approche très ciblée de l’IE?
Idéalement, si on veut que l’IE puisse participer au processus d’innovation, l’approche doit être holistique : le responsable IE doit avoir l’œil sur l’ensemble des processus de l’entreprise pour combler les trous en information/connaissances là où ils apparaissent. Mais dans les faits, à moins de définir des indicateurs puissants, cette approche ne peut se faire ni de l’extérieur, ni ponctuellement.
Pourtant, de mon expérience, qui ne couvre pas la réalité des grandes entreprises, les demandes d’IE sont seulement ciblées.

Toutes les entreprises innovantes sont-elles concernées par ce type de démarche, indépendamment de leur taille et secteur d’activité ? Existe-t-il des sociétés qui peuvent se passer de faire de l’IE ?
Il s’agit d’un vieux débat depuis 1998 : toutes les entreprises devraient-elles faire de l’IE ? Oui. Le font-elles ? Non. Pourquoi ? Parce que ça coûte et que le ROI ne peut pas être calculé.
Mais ces raisons ne sont plus vraiment valables aujourd’hui. Les entreprises payent leurs assurances sans se demander si elles récupéreront leur argent lors du prochain dégât d’eau. L’IE est une forme d’assurance tout-risque, et le ROI peut désormais se calculer en opportunités saisies, en marchés conquis, en image redorée, en chaine de valeur consolidée… L’IE sera probablement bientôt reconnue comme processus nécessaire, puisque l’analyse des données est désormais entrée comme bonne pratique en intelligence d’affaires.
Pour nuancer, oui, il existe des sociétés qui peuvent se passer de faire de l’IE continue : ce sont celles pour lesquelles les cycles de production sont très rapides.

Le Big Data et la sémantique, nous promettent des flux d’informations déjà traités et, dans une certaine mesure, interprétés. Comment bénéficier de ces technologies tout en préservant l’objectivité et la créativité indispensables à l’innovation ?
De mon point de vue, l’analyse automatique de l’information apporte simplement aux dirigeants des éléments complémentaires pour mieux gérer leur entreprise. Ce traitement est donc nécessaire. Par contre, comme tout système, il doit être configuré et affiné régulièrement : est-ce une bonne idée de laisser ce traitement seulement dans les mains du département des TI ? Je ne pense pas.

Quels sont les problèmes habituellement rencontrés par les PME et TPE innovantes faisant appel à l’IE ?
Dans une PME, il est de la responsabilité de chaque professionnel de faire de la veille. Les ingénieurs, par exemple, en font naturellement et cette veille constitue une part active d’IE. Mais c’est un processus rarement formalisé, certainement pas généralisé, et qui prend du temps.
Sinon, culturellement, les entreprises qui n’ont pas les ressources humaines en interne ne feront pas spontanément appel à l’IE.Elles feront plutôt appel à un centre de recherche local, par manque de connaissance mais également parce-que le lien entre IE et résultats opérationnels n’est pas encore établi pour les PME.
Pourriez-vous nous faire part d’un success case d’IE comme soutien à l’innovation ?
Ericsson emploie un peu moins de 1 600 personnes au Québec, dont 800 sont chargés de faire de la R&D. C’est un processus qu’ils ont nécessairement structuré et dans lequel l’IE joue un rôle intégrateur, pour que l’information soit connue, exhaustive, et distribuée de manière fluide. Ce n’est pas un cas d’IE pure, ni d’innovation certaine, mais tous les éléments sont présents pour y contribuer.

Il y a-t-il des différences culturelles dans l’approche de l’IE et de l’innovation entre le Québec et la France ?
Il y en avait il y a 10 ans, lorsque j’ai quitté la France. L’IE était alors encore dévolue aux professionnels, qui avaient certes un bagage technique dans leur spécialité, mais ni la formation ni l’état d’esprit nécessaires à l’IE. Au Québec, j’ai trouvé une répartition plus large des responsabilités de l’IE (l’expérience et la volonté sont prises en compte), dans des domaines plus variés (bancaire, éducation, administration, durabilité, santé, etc.).
Mais je continue à trouver étonnant que le responsable de l’IE ne soit pas assis à la droite du PDG ; il se trouve souvent dans un département à part, isolé, même s’il est censé soutenir l’ensemble de l’entreprise par la diffusion de sa connaissance. Il me semble que son rôle serait beaucoup plus stratégique et opérationnel s’il était transversal, pour combler les manques en « juste à temps » ; un atout fondamental en innovation.

Pour plus d’informations consultez le CEFRIO

Propos recueillis par Lucie Loubet

 

A propos de Raphaël Danjou

Raphael Danjou

 

Raphaël Danjou
Directeur de la veille stratégique
Vice-présidence Innovation et Transfert
CEFRIO raphael.danjou@cefrio.qc.ca
Raphaël a fait ses premières armes en veille stratégique à Tokyo chez Recruit, la société pionnière de l’information au Japon. Il a ensuite rejoint les firmes conseil en France, mettant ses capacités de recherchiste au service du recrutement et de l’intelligence économique. Ayant rapidement développé des compétences dans la formation et l’animation d’équipes, Raphaël a aidé consécutivement deux cabinets à se créer et à s’organiser.

Curieux de nature, passionné par les découvertes et grand voyageur, il a développé ses contacts ainsi que son ouverture culturelle à l’international avant de s’installer au Québec en 2008.

Avec dix années d’expérience professionnelle à son actif, Raphaël a rejoint l’équipe du CEFRIO en novembre 2009 pour y apporter son expertise de la veille et ses méthodes, satisfaisant ainsi son goût pour l’exploration des technologies et le travail d’équipe

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